Archéologie du naming

Le naming (nommage pour les puristes) est une pratique désormais bien établie en France: stades, salles de spectacle, équipes et compétitions sportives, figurent parmi les cibles les plus prisées par les grosses entreprises soucieuses de leur image de marque.

Jusqu’où pourra aller cette tendance? Jusqu’à très loin si l’on en croit l’anecdote – quasi prémonitoire – qui va suivre.

J’ai sous les yeux la copie d’une lettre datée du 8 février 1968, adressée par Jean Fernandez à Les Reed [coll. part.]. Jean Fernandez (1927-1997) était un des directeurs artistiques des disques Barclay, chargé entre autres de Frank Alamo, Eddy Mitchell, Monty et Alain Barrière, mais également d’une partie des relations avec le Royaume-Uni. Leslie (dit Les) Reed (1935-2019) était un jeune compositeur britannique, auteur de quelques tubes interprétés par Tom Jones et Engelbert Humperdinck en particulier.

Le courrier en question est rédigé en anglais. En voici ma traduction:

“[…] Ma maison de disques envisage de lancer une chanteuse très talentueuse nommée Pascale Concorde. Comme vous pouvez voir, le nom de la fille est lié à la production de l’avion franco-britannique. Cette très bonne chanteuse était ouvrière [hand-worker] chez Sud-Aviation et travaillait sur ce projet. Sud-Aviation, constructeur du Concorde, accompagne le lancement de cette artiste et contribuera grandement à la promotion du disque. J’aimerais savoir si par hasard vous disposeriez dans votre dossier d’une chanson qui, selon vous, pourrait convenir à une chanteuse française? […].”

Comme on peut s’en douter, Pascale Concorde était un pseudonyme de circonstance, adopté dans la foulée de la présentation officielle du futur supersonique, le 11 décembre 1967. Le véritable nom de cette jeune Tarnaise était Mireille Pages.

Mariée, manucure dans un salon de coiffure puis caissière au restaurant de l’aéroport de Blagnac, par ailleurs dotée d’une jolie voix, elle fut conviée à chanter deux chansons à l’occasion de l’arbre de Noël des ouvriers de Sud-Aviation. Les auditeurs – conquis – lui décernèrent le pseudonyme de Pascale Concorde. Quelque temps plus tard, elle se présenta au radio-crochet de Télé-Dimanche, émission phare de la 1re chaîne de télévision, animée par Roger Lanzac. Elle signait chez Barclay quelques jours plus tard. C’est du moins ce qu’elle affirma dans un entretien accordé à Claude Obernai dans Femmes d’aujourd’hui, paru le 20 novembre 1968.

La lettre de Jean Fernandez visait donc à obtenir de Les Reed une chanson susceptible de compléter le répertoire encore balbutiant de la débutante. Reed fit deux propositions [voir sa réponse du 4 avril 1968, coll. part.] et l’une d’elles devint Le jour est venu (paroles de Pierre Delanoë).

Le titre principal de cet EP était une mélodie de Francis Lai, mise en paroles par Pierre Havet: M’envoler avec toi. Citons ce simple couplet, des plus explicites:

“Dans cette usine-là/ On construit un oiseau/ Qui suivra le Soleil./ Chaque jour, je le vois/ Et je le trouve beau/ Je rêve à des merveilles.”

Le verso du 45 tours était encore plus clair. Sud-Aviation y était cité et Pascale Concorde apparaissait entre Jean Dabos (1923-2012), membre de l’équipe d’essais en vol du Concorde, et Jean Fusil (1918-2009), journaliste à Sud Ouest et auteur, cette même année, aux éditions France-Empire, d’un ouvrage intitulé… Concorde.

Le succès ne fut apparemment pas suffisamment au rendez-vous, ce qui n’était guère surprenant dans le contexte de surproduction de l’époque… et de Mai 68. Le “Rapport sur la production et la promotion” des disques Barclay de juillet 1967 indiquait qu’en moyenne, les disques sortis ne dépassaient pas les 800 exemplaires (“gratuits compris”).

Après un second EP chez Barclay, Pascale Concorde poursuivit sa carrière chez CM Records (deux 45 tours et un 33 tours). Elle devint par la suite disquaire à Castres.

Je ne l’ai pas retrouvée à ce jour, mais je serais ravi de m’entretenir avec elle.

Thierry Lefebvre

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